lundi 19 février 2007

Tergiversations nocturnes (6ème partie)

Cinq minutes plus tard et alors que j’avais décidé de partir à l’arrêt de la 5ème Clio au feu rouge juste en face du café, voilà notre homme qui pointe ses ray ban en balbutiant quelques excuses désespérantes par leur manque d’imagination et de conviction.

Ma première réaction dut lui paraître pour le peu insolite : « Avec ce genre d’arguments, vous ne ferez pas long feu en politique. Ayez de l’imagination pardi ! Mettez de la conviction dans tout ce que vous dites ! Votre père a le pouvoir de rendre intéressant l’épisode le plus banal. »

J’ai, sciemment, évoqué son père car je savais que ça ne devait pas être toujours un plaisir de porter un nom aussi connu et que tout le monde devait, sans cesse, faire la comparaison entre le premier de la classe et ce cancre poussé et poussif.

Avant qu’il n’eût le temps de répliquer j’avais balayé du revers d’une main toute tentative de polémique et avais appelé de l’autre le serveur.

« Qu’est ce que vous prenez ? » lui avais-je lancé

« Qu’est ce que vous avez comme bières ? » demanda-t-il au garçon

Le froncement de sourcil de ce dernier m’a fait intervenir, j’ai pris les devants et lui ai demandé de nous apporter deux cafés noirs.

« Quelle idée de demander une bière dans un café? »

« Ben quoi ?! C’est trop tôt ? »

« Vous vous êtes déjà assis à la terrasse d’un café dans ce pays ? »

« Ben oui, pas plus tard qu’hier, j’étais au paradis perdu et nous avons été très convenablement servis et croyez moi ce n’était pas du thé à la menthe » dit il avec un petit clin d’œil provocateur.

Il avait évoqué le nom d’une célèbre discothèque très branchée dont l’entrée était réservée à quelques initiés et pseudos jet-seteurs.

J’avais pensé à une réponse du style « nous ne sommes pas du même monde » mais je me suis rétracté pour ne pas pourrir l’ambiance encore plus qu’elle ne l’était. J’ai donc troqué ma réponse assassine contre une diplomatique suggestion : « Si vous voulez bien, commençons l’interview »

J’entrepris de lui exposer l’objectif de l’exercice qui était de porter l’intérêt sur les motivations personnelles et « profondes » qui conduisait un candidat à se présenter aux élections etc.

Il m’a tout de suite arrêté pour me dire que toutes ces conneries ne l’intéressaient pas et que s’il acceptait de jouer le jeu c’était uniquement pour faire plaisir à son « POPO ». De plus, il n’appréciait que très modérément mon ton inquisiteur et que de toute façon il allait gagner parce que c’est son « POPO » qui voulait qu’il se présente et qu’il était de fait, assuré, de la victoire. Après quoi, il prit une posture quasi présidentielle, me balança : « Cette entrevue est terminée » puis partit sans se retourner.

Ma colère était indescriptible, je bouillonnais de rage, ce petit minable m’avait pris de haut et m’avait retiré en se retirant toute possibilité de reprendre le dessus. S’il y a une chose que je déteste le plus au monde c’est la rupture et son départ en provoquait une dans le sens où il ne laissait plus aucune place au dialogue ni à l’éventualité de trouver un terrain d’entente. Il se croyait invulnérable avec le soutien de son père et imaginait tout pouvoir se permettre. J’allais lui montrer les limites de cette invulnérabilité.

Au lieu d’appeler le son père, j’ai pris mon bloc notes et rédigeai un article tout feu tout flamme intitulé : « papa a voulu que je sois député (quand le siège devient héritage)». J’ai énuméré toutes les frasques de notre jeune candidat, tout ce qui se racontait en off sur lui, ses déboires avec la police, ses cures de désintoxication…j’ai agrémenté le tout avec le bout d’interview que j’ai réalisé et reproduit textuellement la partie où il évoquait son désintérêt total pour la politique, la volonté de son père et sa victoire assurée.

Quelques heures après la publication de cet article, passé miraculeusement entre les filets de la censure gouvernementale sans doute parce que le rejetant était parti se saouler au lieu de prévenir son père de la tournure qu’avait pris l’interview, les coups de fils commencèrent à retentir. Le standard fut vite saturé et j’avais pris le soin d’éteindre mon portable à l’heure de la mise sous presse. Je ne voulais parler à personne, aussi avais je quitté la capitale et suis-je réfugié dans la maison de mes grands parents. A la fin de la journée, j’ai su qu’un conseil des ministres s’était tenu et qu’il a été convenu de l’arrêt de publication et le retrait du numéro de la journée. Le vent de liberté qui soufflait se tût d’un coup sec.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

assez singulier comme comportement ...

Il y a comme une contradiction entre le donneur de leçon du début et l'impulsif de la fin ... une contradiction somme toute assez fréquente au Maroc...

Mais comme c'est lui qui raconte sa propre histoire, fait-il une sorte de retrospective de ces décisions, de ces erreurs??? on verra :)

karim bekouchi a dit…

@Kenza,
Je ne cherche pas à dépeindre un héros moralisateur sans reproche. Le personnage central fait partie de ce peuple pour qui l’affectif prime et qui ont du mal à toujours contenir ou contrôler leurs émotions. Je ne sais pas si notre journaliste aura la présence d’esprit de faire une rétrospective ou du moins prendre du recul mais sa réaction m’a semblé très naturelle et typique du pays d’où il vient.
Je ne sais pas ce que tu penses de ma réponse ?

Anonyme a dit…

aucun commentaire si tu ne réponds pas à mes mails,

Anonyme a dit…

c'est ce que j'avais compris aussi.

quand je pose la question: fait-il une sorte de retrospective de ces décisions, de ces erreurs??? c'est pour essayer de situer son discours (puisque c'est lui qui raconte) mais ça seul l'auteur peut savoir dans quel état d'ésprit est son personnage, moi je ne fais qu'essayer de deviner :)

tu raconte une histoire de la bouche de son protagoniste, l'état d'esprit dans lequel il se trouve peut faire que le même évenement peut être relaté de différentes manière (surtout dans ce Maroc dont tu parles et où l'objectivité n'est pas toujours de mise :))) et où on préfère beaucoup dire c'est pas de ma faute mais celle des autres qui n'ont rien compris :))

karim bekouchi a dit…

@Kenza,
Tu vas trop vite, tu m’obligerais presque à publier les deux prochains épisodes en même temps pour répondre à tes interrogations. Mais je tiendrai bon riiire.
Pour l’instant, notre journaliste est en colère et a réagit en conséquence…