jeudi 7 décembre 2006

Le reveil

Ce matin, je me suis encore réveillé alors qu’elle se penchait vers moi, j’adore feindre le sommeil et la laisser croire que je continue à dormir (comme un bébé comme elle aime me dire). Elle s’est assise sur sa chaise, s’est servie de l’eau chaude et y a trempé son sachet de thé. J’aime à imaginer ses gestes tout en gardant les yeux fermés. Arrive, ensuite, ce moment où plus rien n’existe autour d’elle, son esprit divague ici et là, pensant à mille choses et à rien à la fois. Sirotant son thé et planant au dessus des hommes et des contraintes quotidiennes qui ne l’atteindront pas tant qu’elle sera assise là.

Elle finit son thé, puis traîne encore devant cette baie vitrée, devant ce soleil qui se lève, Montmartre qui émerge lentement. Ce rituel ne dure jamais plus d’une vingtaine de minutes, sinon elle va être en retard, son naturel organisé à outrance reprend le dessus et gâcherait presque mon plaisir de la savoir prendre son temps. Je sais pertinemment ce qui trotte dans sa tête : « il est 8:07, le temps de me lever de débarrasser la table, de mettre mes chaussures je pourrais sortir à 8 :12 et prendre le train de 8 :21. Je pourrais même donner un dernier baiser à Karim si je me dépêche un peu ».

Cette organisation me tue, il m’a fallu plusieurs années pour m’y faire, c’est vrai qu’elle a eu l’intelligence de très vite éviter de me l’imposer. Je la soupçonne même d’être assez forte pour inclure mon manque d’organisation dans ses calculs et arriver à parfaitement gérer mes retards répétés, mes ratages d’avions, de TGV et tout ce qui s’en suit.

J’entend la porte claquer et me décide à ouvrir un œil, il est 8 :23. C’est trop dur de se lever, je ne sais pas pourquoi je devrais le faire ? Pourquoi ne prendrais je pas ma journée, je resterai là à traîner devant la télé, je me materai bien un p’tit film au cinéma vers le coup de midi et ferai une sieste vers le coup de 16h00 en attendant son retour. Pourquoi devrait-on travailler pour gagner sa vie, l’homme devrait être assez intelligent pour dépasser ses pratiques archaïques …

Cette étape de questionnement existentiel dure habituellement entre 15 minute et 1heure, quand je décide finalement de me lever, je suis généralement extrêmement en retard. Je fais mes pompes, mes abdos (je ne suis pas un grand sportif mais j’aime me la jouer quand j’écris) prends ma douche, fais mes ablutions, prie, me change, bois un demi litre d’eau et sors en courant. Je peste pendant le trajet jusqu’à la gare contre moi et contre ma fainéantise.

Après ce moment de colère, la panique prend le dessus, que ferai je si je rencontre mon patron avant d’arriver à mon bureau ? Je n’aurai pas du prendre mon cartable ! Je ne l’utilise jamais en plus ! Au moins, si je ne l’avais pas, j’aurais pu faire croire que je suis descendu prendre l’air. Mais avec le cartable c’est mort.

J’ai longtemps damné ses fonctionnaires qui ont une veste spéciale "siège de bureau" mais là je les envie. J’aurais du laisser ma veste au bureau !!

Tout d’un coup, je me rends compte que ça fait plus de dix minutes que je ressasse ces idées et que le train n’est toujours pas arrivé. Quand je plisse les yeux pour essayer d’atteindre le tableau d’affichage, je déchiffre avec effroi que mon train a été supprimé et que le prochain est à l’approche mais sur le quai Z alors que je suis sur le D. C’est là que le sport me sert, en un éclair, je prend mes jambes à mon coup et fuse en dévalant les marches quatre à quatre, j’essaie de ne bousculer personne en hélant des pardon à tout bout de champ. Il me reste quelques marches à monter quand j’entend le fatidique signal sonore prédisant la fermeture imminente des portes. Je me jette littéralement pour atteindre le quai et assiste avec dépit au départ de mon train. Et voilà ! Je me suis encore pris 20 min dans les dents. Si je n’avais pas regardé CNN, Euronews et Aljazeera ce matin pour m’assurer qu’elles racontent toutes les mêmes choses, je suis sur que j’aurai été déjà devant mon écran.

Mon dépit se transforme à cet instant en désespoir, je sors mon PDA et écoute un peu de malhoun histoire de changer de continent. Le froid commence à se faire sentir, mon train finit par débarquer et me voilà à moins de trois quarts d’heure de mon lieu de travail, il est 10h passé, et ma peur de rencontrer mon patron se transforme en revendication quasi syndicale, « quand il y a du boulot, je reste moi !! Je ne compte jamais mes heures, alors il ne va pas me prendre la tête pour un petit quart d’heure de retard ».

Quelques changements de ligne de métro et une dizaine de chansons plus tard, me voilà devant l’immeuble de mon employeur. Je choisis avec soin ma porte d’entrée et évalue avec précision le parcours idéal susceptible de m’éviter toute rencontre fortuite. Arrivé à mon bureau je me débarrasse de mon manteau, allume mon pc et m’avachis sur ma chaise pour donner l’impression d’être là depuis longtemps. Je regarde l’heure à mon poste il est 11h15, je l’appelle, lui dis que je suis arrivé et lui raconte ma mésaventure ce à quoi elle me répond calmement « ça n’arrive qu’à toi mon chéri ».


Demain ! Demain ! je me lèverai plus tôt c’est promis !

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Pour un jeune cadre "dynamique", je crois mon ami que tu trouveras très facilement ta place parmi nous, au pays!

Ta fainéantise me fait penser à celle de mes enfants qui sont toujours à courir dérrière le temps!

En tout cas, tu écris bien! Ta prose est très agréable à lire!

karim bekouchi a dit…

Merci Hmida pour tes encouragements,

Comme dit la chanson "ze n'ai pas chanzé". Je me rappelle quand j'étais en année du bac mon père me surnommait le ministre parce qu'à l'heure où j'arrivais au lycée, il n'y avait que le ministre qui pouvait débarquer pour faire une inspection surprise dans les locaux.

Encore une fois merci.

Anonyme a dit…

A mon avis il faut faire un peu d'effort pour lutter contre cette fainéantise.

c'était un plaisir pour moi de lire tes différents articles. IFA

mybabou a dit…

Allein wegen dieser Text würde ich mich in Dich verlieben... So dynamisch, so real, ich war mit Dir außer Atem... Du schreibst wirklich sehr gut, Karim. Sehr schön. Das hätte ich so gern selbst geschrieben !
Mach weiter so.